Abstract
[Fr:]Cette contribution représente une première systématisation d’une étude plus vaste sur l’odorat dans la Recherche proustienne, dans laquelle nous nous concentrerons spécialement sur la relation entre olfaction et mémoire. En effet, s’il est notoire que le temps constitue le pivot intellectuel et le ressort esthétique du roman, le rôle de l’odorat dans l’opération de conservation de la mémoire est moins connu. Le résultat de cette opération (la réminiscence, ou mémoire involontaire) va pourtant très au-delà d’une banale récupération d’un souvenir et de sa traduction “nostalgique” dans un morceau de prose poétique. Plus stable que d’autres types de mémoire, dotée d’un caractère édénique et émotionnel très intense (Jean-Yves et Marc Tadié 1999), la mémoire olfactive est utilisée par Proust pour libérer “l’essence du moi” (Serça 2022), et permet ainsi au Narrateur de la Recherche de dépasser la fragmentation du moi qu’il expérimente tout au long de la narration (Jean-Marc Devaud 2022). L’intuition de Proust par rapport au rôle de l’olfaction dans la cognition du réel et dans la récupération de la mémoire constitue une rupture radicale par rapport aux savoirs partagés à son époque, où l’on ne voyait dans l’odorat que le plus primitif des sens, “inutile” (si non nuisible) pour une humanité évolue. Dans la première partie de cet essai nous analyserons donc quelques passages du roman, dans lesquels l’odorat semble se trouver à l’origine de l’évocation littéraire elle-même, le noyau “trivial” du chemin spirituel de l’art. Cette intuition sera mise à l’essai (et largement confirmée) par les sciences psychologiques dans la seconde partie de cette étude, où nous analyserons une série de recherches dans le domaine psychologique, neuropsychologie et psychobiologique, qui ont produit des évidences expérimentales intéressantes en relation au binôme olfaction-mémoire.
Un premier domaine concerne les fondements neuroanatomiques à la base de la relation entre l’élaboration olfactive et émotionnelle (Soudry et al., 2011) et la nature comparative de l’olfaction par rapport aux autres sens, aussi bien dans sa capacité de susciter des mémoires autobiographiques que dans l’intensité des souvenirs évoqués (Toffolo et al., 2012 ; de Bruijn, Bender, 2018; Ernst et al, 2021). Un deuxième domaine concerne la nature “ancienne” vs “récente” des souvenirs olfactifs par rapport aux autres mémoires sensorielles (Willander, Larsson, 2008), notamment au niveau de la construction du lien affectif maman-enfant (Kaitz et al., 1987 ; Marlier et al., 1998). Un troisième domaine est relatif à la connexion entre stimuli olfactifs, hippocampe et mémoire épisodique (Baudry, 2020). Un quatrième domaine possède une portée clinique. Certaines études ont en effet mis en évidence deux types de phénomènes: d’un côté, les effets bénéfiques exercés sur le système immunitaire par la sécrétion de certaines molécules, conséquente à l’évocation de mémoires émotionnelles autobiographiques à valence positive et suscitées par l’olfaction (Matsumaga et al., 2013); de l’autre, la fonction de l’odorat comme facteur protecteur par rapport aux déficits de mémoire dans quelques-unes des pathologies neurodégénératives et par rapport aux symptômes dépressifs qui souvent accompagnent aussi bien ce type de pathologies que les pathologies provoquées par le Covid long (Guedj et al., 2021).
Titolo tradotto del contributo | [Autom. eng. transl.] Perception, the ‘ego’ and autobiographical memory: Proust’s nose |
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Lingua originale | French |
Titolo della pubblicazione ospite | Proust dans la pensée contemporaine |
Pagine | 69-88 |
Numero di pagine | 20 |
Stato di pubblicazione | Pubblicato - 2024 |
Keywords
- Proust Smell Memory
- Proust Odorato Memoria
- Proust Odeur Mémoire