La légitimité de la trahison

[Fr:]L’article prend en considération quelques passages de Thucydide, dans lesquels s’exprime une sorte de justification de la trahison : 1)Thuc. VI, 92, 2-4 : Alcibiade, devant les Spartiates, justifie sa trahison par une « réinterprétation » de l’amour de la patrie ; 2)Thuc. VIII, 50, 2 : Phrynichos dénonce Alcibiade à Astyochos et lui demande pardon parce qu’il veut faire du mal à un ennemi, même au détriment de sa patrie ; 3)Thuc. III, 9-14 : les Mytilenéens justifient leur défection face à l’alliance athénienne par la dégénération de l’hégémonie d’Athènes, l’absence d’autonomie et de liberté et la nécessité d’une défense préventive ; 4)Thuc. IV, 114, 3 : Brasidas défend les habitants de Torônè qui lui ont permis d’occuper la ville, en soulignant qu’ils ne sont pas des traîtres, mais plutôt des défenseurs de la liberté. On peut noter que les protagonistes de ces épisodes de «trahison» font référence à des valeurs supérieures (l’amour de la patrie, l’autonomie et la liberté, la défense légitime, l’ancienne éthique qui exhortait « à faire du mal à l’ennemi ») pour justifier une conduite que, bien évidemment, l’opinion publique grecque déplorait. La nécessité d’opposer une justification conduit donc, soit à réinterpréter les orientations morales traditionnelles à propos de la trahison, soit, le plus souvent, à renverser le point de vue de l’évaluation. L’impression que l’on en retire est que Thucydide n’apprécie pas particulièrement le personnalisme d’Alcibiade et de Phrynichos, typique des « nouveaux politiciens » de l’époque ; mais il semble disposé à se montrer plus indulgent envers les Grecs contraints de louvoyer avec peine entre l’impérialisme athénien et les « libérateurs » spartiates.